Rose Lecompte, historienne d’art, 2022
Texte du catalogue de l'exposition à l'abbaye de Flaran.
Dérive en rives
Papiers flottants
Le titre d’exposition - Dérive en rives - choisi par l’artiste Alain Ballereau pour présenter un aperçu de son parcours pictural dans l’abbaye de Flaran, est en parfaite adéquation avec l’essence-même de sa peinture ; sérielle, foisonnante et protéiforme. Au fil des années, le peintre a su se renouveler et diversifier ses créations en conservant une unité, une identité à travers différents fondements et sources d’inspiration. Le sous-titre – Papiers flottants – fait référence aux krafts libres qui se sont progressivement substitués aux toiles tendues sur châssis, devenues contraignantes et limitatives selon l’artiste.
Le peintre, marcheur invétéré, arpente inlassablement sa région, se laisse porter par son intuition, observe chemin faisant. Dans ses longues explorations il s’approprie la nature, s’en imprègne. Nul besoin de croquis ou notes, il emmagasine les émotions d’une rencontre ; mémorise les formes, reliefs, structures, couleurs et lumières d’un paysage. Ces déambulations dans la nature ont ainsi valeur d’esquisses.
A l’atelier, la peinture s’affranchit du sujet, se gestualise et une forme poétique émerge, sans volonté de restituer la nature de manière illustrative. Ce langage plastique, plus allusif que figuratif, nous plonge dans un univers mystérieux, mélancolique ou onirique. Chaque création commence par la préparation du fond, lieu d’expression : deux feuilles de kraft collées, rigidifiées sur leur pourtour. Ce matériau souple, robuste et maniable, pauvre mais vivant et léger, se prête à toutes les manipulations : pliages, empreintes sur un autre papier, frottements. Pour libérer le geste, l’artiste fait corps avec ce support, l’appréhende dans son entièreté, entre physiquement dans la peinture à même le sol ou tourne autour, l’abordant sans l’orienter. In fine, un sens s’impose comme une évidence lors de la réalisation : dans une gestuelle maîtrisée, l’artiste joue avec le « hasard dirigé ». A l’aide de larges spatules et spalters, il couvre entièrement le papier de jus d’acrylique très liquides, ou le macule de taches éparses visant à préserver et faire vibrer la couleur d’origine, pour occuper l’espace afin que la peinture prenne place.
Des coulures orientées, souvent présentes, confirment la prédominance du processus pictural. Libéré du carcan de la représentation, il prône l’idée que le sujet de la peinture est la peinture. Plusieurs œuvres peuvent émerger parallèlement, simultanément, et parfois, les grands papiers encore humides, face contre face ou piétinés par l’artiste s’imprègnent, s’enrichissent mutuellement. En gestation, les peintures sont pendues à un fil pour sécher, décanter, maturer. Alain Ballereau et son œuvre, dans un ballet incessant, passent du sol à la verticalité.
Certaines œuvres arborent une structure géométrique formée de bandes horizontales ou fragmentée en carrés qui autorisent toutes les déclinaisons et reports. Cette peinture détachée de toute référence imitative privilégie couleur et planéité, fait place à l’ampleur, à l’épuration et à la respiration. Matériaux et gestes créatifs revêtent une importance égale et l’œuvre finale ne vient délivrer aucun autre message que celui d’affirmer sa propre réalité matérielle retournant aux origines de la peinture qui, en tant que forme artistique, consiste à appliquer manuellement ou mécaniquement des pigments sur une surface. Dans un geste quasi-automatique l’artiste pose un pinceau sur un support vierge qu’il imprègne d’une teinte, celle-ci devenant forme au même instant. Ces expériences techniques longuement acquises, ces sensations éprouvées sont autant de fondations de l’œuvre. Cet automatisme est celui d’un peintre aguerri et si l’œuvre n’est pas totalement conçue au préalable dans son imagination, elle s’enrichit lors de sa réalisation profitant de trouvailles ou accidents. Ces surfaces ridées ou froissées proscrivent les aplats de couleurs au profit de textures épaisses animées et granuleuses, frémissant comme une peau, vibrant comme une chair. Dans une trompeuse simplicité chaque carré est autonome, comme un tableau dans le tableau. En associant des surfaces d'intensités différentes le peintre joue des oppositions ou complémentarités. Toutes ces cases juxtaposées s’harmonisent entre elles, nos yeux circulent de l’une à l’autre comme des pièces sur un échiquier permettant combinaisons multiples et lectures infinies. Des signes donnent le contrepoint nécessaire à l’équilibre de l’œuvre. Des traces informes surgissent dans certaines zones et évoquent palimpsestes ou résurgences de territoires lointains inscrits dans la mémoire. Parfois des bandes verticales ou obliques, telles des troncs d’arbres simplifiés et dépourvus de feuillage se profilent, croisant les bandes horizontales, créant un réseau de lignes sur fond vibrant. L’ensemble devient rythme, équilibre, géométrisme coloré, sans volonté d’une reconnaissance iconographique.
Une autre série voit naître un amoncellement de têtes, imbriquées, encastrées les unes aux autres, sans plage de repos. Comparables à une foule occupant tout l’espace elles s’agitent, cherchant l’air à inhaler. Leur caractère synthétique les métamorphose et les réduit à des taches d’un chromatisme vivement coloré faisant presque oublier leur humanité. Toutes différentes et pourtant quasi-semblables, elles sont non identifiables et posent la question de l’Homme dans sa singularité, de l’individu dans sa globalité, de l’anonymat et la perte de soi dans un monde déshumanisé. Des personnages apparaissent également tels des silhouettes rassemblées ou dispersées, qui seules ou accompagnées se saluent, se séparent, s’éloignent, sortent du cadre, adoptent toutes postures et tournent en rond. Un drame sous-jacent semble se jouer. Ces figures égarées évoluent dans un univers à peine ébauché qui ne les rattache à aucun pays, aucun continent. S’agit-il de l’Homme en proie à ses questionnements ? Est-ce la projection de l’artiste qui cache ses angoisses et parcourt plusieurs itinéraires pour maîtriser ses doutes et dompter ses tourments ? N’est-ce pas le sort de l’humanité tout entière de se perdre pour mieux se trouver ? Sans doute faut-il y voir un prétexte à méditer sur la notion de temporalité, une destinée personnelle à portée universelle.
Dans toutes ses créations l’artiste transcende la réalité pour la magnifier. Il nous communique l’exaltation de la découverte, l’intimité d’un lieu longuement fréquenté devenu familier. La peinture touche à l’absolu dans une recherche de lignes, masses, formes, coulures, matières, ombres et lumières. La réduction drastique de la gamme colorée refuse toute brillance tapageuse ou luxuriance excessive et privilégie la matité, la sobriété. Cette économie de moyens vise à cibler l’essentiel et laisse le spectateur libre de toute appropriation ou interprétation, selon ses sensations. Le temps passant, l’humain est devenu absent, seules persistent les traces de son passage. La présence d’un contenu demeure, magnifiquement suggéré, jamais identifié, cédant le pas à l’émotion pure. Cette peinture non descriptive ouvre tous les possibles. L’échelle souvent monumentale invite à suivre les chemins ébauchés, incite à une promenade immersive dans l’œuvre. Est-ce pour se rassurer que le regard du spectateur tente d’envisager montagnes arides et neiges éternelles ; de dessiner forêts et villages lointains ; de deviner châteaux, vestiges ou ruines ; d’imaginer brumes évanescentes ; de chercher encore fleuves et rivières, coulées de laves ? S’agit-il d’un autrefois qui hante notre âme et dont le paysage est la métaphore ?
Parfois des îles désertes – réminiscences de cailloux peints dans une époque antérieure - ou sortes d’icebergs émergent et posent la question du superficiel, du visible, des évidences perceptibles et sensibles dans un ensemble plus vaste qui se dérobe à la vue et ne peut être immédiatement appréhendé. La partie immergée est toutefois présente comme une invitation implicite à comprendre au-delà des apparences. La réalité à laquelle nous confronte l’artiste est moins ce que l’on perçoit qu’une entité approchée par des expériences de pensées.
Volontairement ou inconsciemment les œuvres d’Alain Ballereau présentent des liens de parenté avec la pensée chinoise dans laquelle la peinture s’éloigne du visible pour faire apparaître l'intangible et se rapprocher de la spiritualité. Les œuvres immarcescibles d’Alain Ballereau sont promises à l’éternité, hors du temps et de l’espace elles ne suivent ni mode, ni tendance. Elles paraissent aborder des questions existentielles et évoquer la silencieuse puissance de la nature dans laquelle l’Homme en proie à ses questionnements interroge son devenir. En filigrane, ces œuvres sont autant d’autoportraits d’un artiste qui cherche à figer et suspendre le temps pour mieux l’appréhender et vivre dans le présent.
Rose Lecompte, historienne d’art – janvier 2022
Dominique Crébassol, 2022
Plaisirs du Gers n°17, publication de Arkade.
Yann Le Chevalier, 2022
Parcours des Arts n°71, Occitanie Pyrénées-Méditérranée
Rose Lecompte, historienne d’art – 2021
Dans son absolue nécessité de créer, Alain Ballereau envisage la peinture comme une aventure. Entre intention et errance, spontanéité et vigilance, il évolue sur un jeu de pistes aux entrées multiples, en quête de territoires nouveaux.
Au commencement, le même rituel, préparer le fond, lieu d’expression : deux feuilles de kraft collées, rigidifiées sur leur pourtour. Pour libérer le geste, l’artiste fait corps avec ce support, l’appréhende dans son entité, entre physiquement dans la peinture à même le sol. Il tourne autour et l’aborde parfois sans l’orienter. A l’aide de larges spatules et spalters, il couvre entièrement le papier de jus d’acrylique très liquides, ou le macule de taches éparses visant à préserver et faire vibrer la couleur d’origine, pour occuper l’espace, que la peinture prenne place. Ces expériences techniques longuement acquises, ces sensations éprouvées et emmagasinées sont autant de fondations de l’œuvre. Les doutes cumulés, couches superposées, repentirs et incertitudes exploités donneront naissance à sa substance.
Puis un sens s’impose comme une évidence. Le matériau choisi, souple, robuste et maniable, pauvre mais vivant et léger, se prête à toutes les manipulations : coulures orientées, empreintes sur un autre papier, frottements. Dans une gestuelle maîtrisée, l’artiste joue avec le « hasard dirigé », découvre en agissant, s’étonne en cheminant, anime cette matière plissée comme une peau, aride comme un sol désertique, frémissante d’aspérités. Ni brillance tapageuse ni luxuriance excessive mais une matité, une sobriété, une économie de moyens dans un travail d’ombre et de lumière ; une gamme de couleurs restreintes pour pénétrer au plus profond, cibler l’essentiel. Ces papiers libres, flottants, conservent le goût de l’inachevé, s’inscrivent dans le temps comme arrêtés dans la fraîcheur du geste.
Plusieurs œuvres peuvent émerger parallèlement, simultanément, et parfois, les grands papiers encore humides, face contre face ou piétinés par l’artiste s’imprègnent, s’enrichissent mutuellement. En gestation, les peintures sont pendues à un fil pour sécher, décanter, maturer. Alain Ballereau et son œuvre, dans un ballet incessant, passent du sol à la verticalité.
Figuration ou abstraction ? Angoisse ou sérénité ? Présence ou absence ? Ces peintures allusives libèrent l’imaginaire, ouvrent une infinité d’espaces sans rien imposer, pas même un titre pour nous guider dans cet univers onirique, poétique, mystérieux ou mélancolique.
Alain Ballereau crée une œuvre riche, protéiforme, sérielle, en renouvellement perpétuel. Sa peinture foisonnante et homogène contient la suivante en germe et conduit vers d’autres horizons, d’autres pulsions créatrices.
Rose Lecompte, historienne d’art – mai 2021
Rose Lecompte, historienne d’art – 2020
Une peinture d’Alain Ballereau
Des traces noires et bleues couchées sur un papier brun, épais, naturellement coloré. Une apparence simplifiée, inachevée pour une peinture épurée dans laquelle l’essentiel est conservé. Une pâte granuleuse, riche de textures, d’empreintes, d’épidermes. Une émergence de nervures dans un effet de transparence ; deux teintes vibrantes à l’aspect velouté, juxtaposées ou superposées. Une facture libre, un geste ample mais contrôlé pour cadrer avec un format qui confère à l’œuvre son intimité.
Silhouette de deux êtres soudés, imbriqués peau à peau, corps à corps, dans une union parfaite, s’épaulant dans une pensée funeste ? Amoureux aimantés, fusionnels et heureux, se projetant d’un regard commun vers un avenir radieux ? Personnage esseulé, désespéré, collé à la dépouille d’un être aimé, rivé à des souvenirs inaltérés ? Femme seule, se libérant de ses oripeaux, en quête d’un futur nouveau ? Migrants fébriles, fragiles et courageux, dos au passé, tétanisés entre possible renaissance et peur de renoncer ? Couple pétrifié, image d’éternité ? Milieu absent : hostile ou rassurant ?
Magie de la peinture qui dans sa subjectivité se laisse approprier, permet d’imaginer, de rêver !
Enveloppe ou ombre ? Enracinée ou animée ? Vulnérable ou déterminée ? Fuite salvatrice ou élan prometteur ? Source d’interprétations et d’interrogations multiples, cette figure énigmatique éveille l’âme. Elle possède la grandeur d’une statue hellénistique élégamment drapée, la délicatesse d’une Tanagra serrée dans les plis de son himation, la majesté d’une Madone pudiquement voilée, le mystère d’une femme Fellah à la chevelure gracieusement dissimulée. Elle ne se prête pas au dialogue mais le suscite, et ces questions ouvertes et infinies font d’elle une véritable œuvre d’art. Au-delà de la simple narration, de la figuration ou de l’anecdote, cette représentation indéfinie, intemporelle et impersonnelle, semble symboliser l’Être face à ses choix, en proie à ses angoisses et ses doutes, ses failles et ses tragédies ; l’humain confronté à sa destinée et à sa mort ; l’Homme dans son universalité.
Rose Lecompte, historienne d’art – novembre 2020
chemin faisant
comme saisie d’intempérie
la libre peinture
d’Alain Ballereau
... quand elle dessine
hors piste du châssis
en clair-voyance toute et aléa
… ce Pays encore à re-paysager
où gravir solitaire
la montagne sacrée et le terril
se vit
… d’entre les labours du kraft
où ramifier du regard
l’arbraie calcinée par l’orage
se donne en delta
où suspendre
… d’entre les embruns diffus
du Moi fantomatique
l’obscur varech
Pour délivrer la toile
de sa frontière
au pied de la falaise
décrypter
plus avant dans l’humain
l’oursin échoué des nerfs
pour accueillir souverain
… avec les risées du sable
cette langue des marées
qui tant écume et blanchoie
et grisaille
Pour soumettre au ciel courbe
ce bleuissement de nuit qui
en cordillère rougie
disposera l’écharpe du levant
quand ailleurs mûrit
d’ocre jaune mêlé
un futur de moissons
loin des banquises
Peindre avant toute chose…
À peine sorti de l’adolescence, Alain Ballereau intègre l'École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d'Art de Paris. Élève discret, il poursuit hors de sa formation ses recherches personnelles, comme une nécessité presque thérapeutique. Sélectionné pour exposer à l’International Festival of Youth Art and Craft de Glasgow et soutenu par quelques enseignants qui lui achètent même des œuvres sur papier, comme Robert Wogensky, il commence à apprivoiser le statut d’artiste. Jamais il ne cesse de peindre et d’exposer par la suite. En 1991 il fait le choix exclusif de la peinture et quitte Paris pour installer son atelier dans le Sud-Ouest. Il est représenté en permanence par deux galeries, en France et aux États Unis.
« L’aventure de la peinture, c’est se surprendre à chaque instant dans l’acte de peindre. C’est jouer avec l’ombre et la lumière pour ouvrir des espaces, des voyages intérieurs. C’est précipiter le hasard en toute innocence et le contrôler.»
Face au travail d’Alain Ballereau, on se dit que le choix de l’option “surface et art mural” durant ses études n’était sans doute pas anodin, de même l’intérêt particulier qu’il porte déjà à certains artistes de Supports/Surfaces, comme Pincemin, ou encore au travail formel de Dubuffet, Aleschinsky et Rothko. Alain Ballereau aime peindre grand, au sol, à genoux ou plié en deux au milieu de l’atelier, tournant autour de son travail. À l’aide de raclettes, spatules ou brosses larges, il recouvre, étale, enlève, superpose sa matière picturale, une peinture acrylique mate qui répond à son geste, fluide et rapide. Délaissant la toile tendue sur châssis il adopte les tissus libres, lin, coton, draps de récupération… Il développe également une technique sur Kraft : assemblé en couches superposées, ce matériau modeste offre une surface robuste et maniable, une matière vivante, laissée visible par endroit, apte à faire vibrer les couches de peintures l’une sur l’autre… Ses grands papiers, jusqu’à 3 mètres parfois, peuvent ainsi voyager. Ils se roulent et se déroulent, s’accrochent sur d’ingénieux châssis démontables ou se suspendent pour s’offrir au regard du public.
Dès ses premières œuvres, Alain Ballereau se libère de la composition classique et explore un monde gestuel, lyrique et graphique, d’abord économe en couleur. Puis des amoncellements jubilatoires de signes-objets envahissent l’espace avant d’être domptés dans des cases. Il joue avec l’empreinte, plie et déplie le tissu poreux, case sur case imprégnée de jus coloré, comme des histoires inachevées. Se développe ainsi une longue série de damiers sur tissus puis sur papiers : couleurs franches, lumineuses ou grinçantes où des éléments plus ou moins allusifs résistent encore. Bientôt l’anecdotique s’estompe et disparaît. Il revient à la surface matière, au travail de la couleur pour elle-même. Abstraction paysagiste ou transpositions mentales de vibrations naturelles, ce sont des pays rêvés, souvenirs entre ciel et terre, strates géologiques, multicouches vibrantes, coulures et arrachements, rouges, jaunes, bleus, gris, blancs et noirs profonds… Pas d’autres titres que des numéros, c’est avant tout de la peinture.
Pénétrer dans l’atelier d’Alain Ballereau, perché à hauteur de ciel, permet de prendre la mesure de cette capacité d’exploration du peintre. La production est impressionnante ! Par strates se côtoient des recherches menées au fil du temps, avec la constante maîtrise du geste et de l’espace par la couleur. Cette accumulation de peintures en friche, cette « matière première » lui donne une grande liberté dans l’exploration de pistes nouvelles. Viallat plie ses toiles dans des cantines, Ballereau les garde à vue, empile ses papiers au sol ou les suspend sur les étendoirs de l’atelier. Choc du visiteur pour lequel il étend, déplace à bout de bras, extrait, déplie : un riche vocabulaire de signes, des damiers ou des bandes colorées, des troncs d’arbres comme des sentinelles balisant l’espace, des personnages égarés dans un no man’s land et en eux-mêmes, et depuis quelques années, de vastes étendues imaginaires dans lesquelles l’esprit du spectateur semble pourtant évoluer en paysages connus.
Caroline Lesage.
Exposition au Centre Culturel du Sacré Coeur à Montricoux - mars 2014.
Qui ne voit dans les tableaux d'Alain Ballereau que des paysages ne voit pas l'essentiel, la peinture ! Si l'on fait pivoter d'un quart de tour chaque composition, le paysage s'enfuit, la peinture le remplace !
D'ailleurs Alain Ballereau ne peint pas au mur ou sur un chevalet, il me semble, mais au sol, au beau milieu de l'atelier et tourne autour de ses carrés de papier : ses tableaux n'ont donc ni haut, ni bas, tout au plus quatre points cardinaux. ( Alain Ballereau entreprend alors, pour peindre, une longue marche, ou une danse, tout autour de son tableau ) .
Mais quand il les installe au mur ( il faut bien les installer au mur un jour) il est alors contraint de leur trouver un sens et il choisit de montrer le paysage. Ou peut être découvre-t-il vraiment à ce moment là le paysage qu'il a peint pendant sa marche ! Et je peux penser qu'il le déplore, car il est peintre ! Et il aimerait bien, peut être pouvoir ne nous montrer que la peinture ! D'ailleurs ses peintures n'ont pas des titres de paysages, mais des numéros ! Ce ne sont donc pas des paysages ! Ce sont des peintures ! La peinture est bien là, on peut ne voir qu'elle ! Et elle donne envie de caresser le tableau ( Le céramiste Jean Pierre Chollet admirait avec moi la "qualité des surfaces" )
La démarche est simple et c'est celle de tous les peintres : installer sur un format des formes, des couleurs, des valeurs, des matières.
Les gestes sont peu nombreux mais suffisants : traverser vivement le support de larges brossées de couleurs, contempler les diffusions dans les trop mouillés, soulever le papier pour accompagner les coulures, le replier sur lui-même avant qu'il ne soit sec, appliquer, aussitôt décoller pour avoir la découverte, la surprise magique des estampeurs, presque rien, un "vocabulaire" ordinaire !
Et au mur, dans la verticalité, tous les éléments se soumettent à la gravitation et s'installent pour "faire" le paysage ! Un noir bien lourd coule vers le bas pour faire le poids, le blanc plus léger que l'air est maintenant un ciel par-dessus les toits, à la moitié presque (fi des "règles" des tiers !) un gris négocie une liaison. Dans l'échancrure du noir, en plein milieu, (fi des "règles" du milieu !) un rouge de ballon rouge prend la vedette, dans lequel certains ne verront qu'un soleil d'enfant qui ne disparaitra jamais derrière aucun horizon. Les coulures du blanc dans le noir ont délimité des arpents de cultures ou des constructions : Alain Ballereau peint des jours, des nuits (quand le noir consent à rester en haut) des jours/nuits dans lesquels le soleil a rendez-vous avec la lune, des plaines de retraite de Russie, des Monuments Valley, des ciels gris d'hiver sous des canicules et même des couchers de soleil de ballon rouge !
Chaque pièce de la série exposée ici avoisine le mètre carré, Alain Ballereau peint volontiers plus grand, mais il réussit à chaque fois l'exploit du "grandeur nature" : même la plus petite reproduction dans ses catalogues nous semble mesurer 6 x 6 mètres !
Détail : la signature est en bas, minuscule, comme un insignifiant brin d'herbe…
Bissière se disait "non figuratif", refusait l'étiquette de l'abstraction. Je ne sais s'il acceptait celle de "paysagiste abstrait".
Alain Ballereau, à mes yeux, est par là, brossant des paysages sans vraiment les décréter, comme en "arrière pensée", nécessaires sans doute pour que tous puissent randonner dans ses tableaux, mais pas forcément, toutefois, car pour moi le véritable sujet de ses tableaux, c'est ( belle et bien ) la Peinture ! (avec la majuscule)
Paysages (ou ABC du paysage) - 2011
Alain Ballereau est un promeneur quotidien du Tarn et
Garonne. C'est un exercice physique qui lui permet d'élargir l'horizon de son atelier et de conserver l'endurance nécessaire à l'acte de peindre qu'il pratique à genoux ou plié en deux. C'est
aussi un exercice spirituel car la marche sur des sentiers répétés permet de découvrir le détail qu'on ne peut pas voir en un aller-retour, de laisser place au hasard heureux dont Jacques
Lacarrière a écrit: « c'est là que réside l'essentiel , comme l'est le silence en musique, : en ces rencontres imprévues autant qu'inoubliables qui s'opèrent avec un végétal, ces dialogues
ébauchés entre l'arbre et le vent […] Merveilles d'un monde intime mais infime qui deviennent brusquement le trésor des chemins. » *
Ce qui frappe devant cette série de paysages c'est l'évidence de chaque tableau. En premier lieu l'abstraction qui est toujours là dans l'équilibre des masses déchirées d'un coup de pinceau brutal ou au contraire brossées en souples courbes, dans le bavardage « de plus de trente ans » des noirs profonds avec les gris, plus ou moins blancs, plus ou moins transparents. Les deux couleurs sont délavées, raclées, tachées, forment des coulures accidentées par la main du peintre changeant brutalement leur destinée tel un orchestre qui au milieu d'une phrase musicale changerait de motif. Elles laissent souvent sèchement à nu le support, le papier kraft. Tantôt émergent d'une béance des noirs et blancs, des bleus, des rouges ou des ocres, tantôt ces couleurs viennent s'incruster dans le fond. De l'abstrait surgit spontanément un paysage, pas un de ces paysages que le regard musard du promeneur aurait fidèlement mémorisé ou que la photo dans les brumes matinales aurait fixé pour longtemps, non, un paysage imaginaire et pourtant reconnu.
Celui qui s'attarde devant un de ces paysages est pas à pas saisi d'une étrange sensation. Ce qui apparaissait clairement comme un mont arrondi se reflétant dans un lac solitaire ou peut être une plaine cultivée dont les plis du kraft dessinent d'improbables sillons, se transforme en une coupe géologique d'un sol. Puis, s'imposent les deux images dans le même tableau, comme dans un livre de géographie : dans la partie supérieure le mont, en dessous la coupe de celui-ci. De cette vision arrêtée surgit un détail ; ces arbres dénudés sur les pentes du mont, formés d'hasardeuses coulures, se muent en mâts d'un voilier dont la quille est cachée par la terre. Et le lac devient mer, et le mont devient île, et le gris devient voile… Quitte-t-il la rade ou s'y réfugie-t-il ?
Cet autre paysage qui semble abandonner la peinture, laisse presque entièrement à nu le kraft d'où sortent quelques traces noires et grises. Pas de doute nous sommes dans la fluidité d'une estampe japonaise. On y voit deux îles perdues, timides, presque apeurées, qui se dressent au dessus de l'eau, et dans le même temps ce sont deux fiers sommets qui dans leur tranquille assurance se dégagent sans efforts de la brume matinale.
Ce paysage silencieux hivernal, avec au premier plan sa haie givrée n'est-ce pas plutôt une rangée de barbelés? Le ravin de la montagne devient un camp, de la nature endormie semblent monter des cris. Ces taches sur la neige, d'abord prises pour des arbustes, ne sont-elles pas des silhouettes humaines ? Une écriture inconnue ? Ces cyprès groupés ne sont-ils pas les toits biscornus d'un village ruiné aux abords du camp? D'un village bombardé ?
Ce pourrait être sans fin, le geste du peintre fait des ricochets dans votre propre imagination. Il faut bien s'arrêter, se reposer l'œil et l'interprétation. Alors aujourd'hui « on dirait que ce serait » une île avec le hollandais volant qui s'en va errer plus loin.
Demain, vous direz autre chose. A chaque jour suffit sa promenade.
*In Eloge de la vie lentissime, revue Nouvelles clés, printemps 2008.
Texte pour l'exposition au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Cordes sur Ciel, 2011.
Après l'image, le paysage
Il n'y a plus de promeneurs mais des randonneurs, dont l'ivresse musculaire se calme le temps d' une photographie, vite envoyée, vite oubliée. Les bergers ne gardent pas la trace de leur passage : que deviennent ces sensations fugitives, ces brumes lumineuses, ces formes végétales et minérales ? J'ai vu des arbres dont les branches, taillées en crayon, noircies au charbon, déposaient la courbe de leur balancement sur des feuilles blanches, ici et la suspendues: Alain Ballereau devient un de ces arbres abandonné au rythme tranquille de ses pensées, maintenant imprimées en formes colorées, où je vois le tableau d'une promenade idéale.
De l' abstrait au sujet
Les peintures d' Alain Ballereau pourraient être rangées dans cette absence de ressemblance, nommée distraitement abstraction.
A première vue, la matière picturale joue de ses effets sur le support: striures et coulures déposées sur le papier, sur lequel le peintre est penché, font le motif.
Que matières? Que gestes? Que couleurs?
Le propos, dans la succession de ces expériences se concentre dans une lumière tenue à la main: la transparence est le véritable sujet de ces tableaux: mille reflets dans les eaux, vibration des feuilles, personnages étonnés d' être là.
Lost in Paradise
Depuis Caspar David Friedrich et son double contemplatif, c'est l'échange des regards qui fait l'étrangeté de certains tableaux: le regardeur est regardé: mais par qui ?
Par la nature qui enveloppe le Wanderer? Par les esprits des îles Marquises dans l' oeil de Gauguin?
Depuis peu, dans les peintures d'Alain Ballereau des formes penchées cheminent, toutes occupées de leur seule présence : aucune inquiétude, juste l'impression que tout peut arriver par l'enfant qui lance les dés: être ici, ou là, dans le jeu du monde.
Au public, maintenant, d'entrer au lieu de leur séjour.
Texte (extraits) du catalogue de l'exposition au Carmel de Tarbes, Août 2007.
L'atelier d' Alain Ballereau, perché au-dessus des remparts de la ville, à hauteur de vol des ramiers, reçoit une pleine lumière. En contrebas, frémissent les peupleraies sur les bords de Garonne.
Le peintre vous installe, de dos à cette lumière, et commence à déplier des papiers plus grands que lui. Il les accroche sur de grands étendoirs, ou bien les pose à vos pieds, au sol.
Alain Ballereau a une prédilection pour le papier kraft. Les feuilles sont collées l' une sur l'autre. D'un matériau modeste, il obtient une matière exceptionnelle et solide, qu'il peut plier à volonté.
Tout son travail se fait au sol, en tournant autour. La plupart de ses peintures sont de format carré, souvent de deux mètres sur deux « parce que l'on tient dedans ». Cette contrainte supplémentaire n'est pas fortuite. Le carré est une fascinante perfection hiératique ; il lui autorise toutes les déclinaisons de rythmes de pliages, de reports. Une espèce de danse sauvage avec piétinements, facilite les empreintes fraîches de peinture.
Ses travaux antérieurs sont marqués par une sorte d' inventaire à la manière de Prévert avec tous ces objets déformés mais identifiables, signes évanescents.
Puis ils s'éparpillent dans les grands damiers à douze cases pour bientôt s'estomper et disparaître, laissant place à l'ampleur, à la respiration de la composition. Récemment, des formes d'arbres se sont imposées, ou plus précisément des troncs, véritables lignes de forces majestueuses sur fonds vibrants.
Dans la poursuite incessante d'une épure progressive et de l'économie de moyens qu'elle appelle, il exerce une vigilance de tous les instants pour garder, toujours, la chair aux choses. Il provoque, épie le hasard, l'apprivoise, l'encourage. Le peintre à ces instants essentiels où se joue la peinture, devient un véritable explorateur, il peint pour s'étonner... « On ne peint pas parce qu'on a quelque chose à exprimer, on peint pour courir la chance de savoir ce qu'on veut exprimer. » (P. Klee)
On est frappé par la production importante du peintre qui chemine et rebondit sur plusieurs formats simultanément, et par son désir de dépasser ses limites.
« En quête de la juste lumière, je m'agite dans l'atelier comme l'abeille contre la vitre. Je lance des bouteilles à la mer ou traverse à la nage, laisse la fenêtre ouverte à la rêverie, au fil des jours. » (A.Ballereau)
Extrait de l'article de La Nouvelle République des Pyrénées. Novembre 2007.
Exposition au Carmel de Tarbes.
Il faut toujours se méfier de la simplicité. De la simplicité apparente.
Prenez la peinture d’Alain Ballereau… Du papier kraft découpé en carrés, de la peinture acrylique mate, des spatules, de la colle à tapisser : c’est à la portée de n’importe qui. En magasin. Comme matériaux de base. Et d’ailleurs que fait-il de tout ça ? Des masses géométriques. Verticales de troncs entre ciels et terres, sans racines ni frondaisons. Se dit-on, au premier abord. En voyant passer l’ombre fugace d’une stylisation façon Nicolas de Staël. Seulement voilà…
Rien d’aussi simple, évidemment, comme la vigueur de ces couleurs pourtant mates vous capte, comme la lumière s’y trouve subtilement déclinée et jamais déclinante, comme la division de cette même lumière vous offre alors justement de multiples pistes de lecture. Vous fait entrer et cheminer au gré des plis et replis obtenus par le peintre lorsqu’il remet à plat ses aléatoires origamis, conférant à son papier d’emballage un rôle de support de strates quasiment archéologiques. Et vous invite à explorer ces différentes couches de bleus, d’ocres, d’ors, de rouges, de noirs et de blancs, se superposant, s’interpellant par transparences, d’une saison l’autre…
Troncs de bouleaux, alignement d’une peupleraie face à l’or d’un champ, le vert d’une forêt projetée sur un coteau? Rivages sous les brumes d’un couchant ? Ligne d’horizon ou tranchée de séparation ? Ou damier d’un demi jeu d’échecs dont il est seul à écrire les règles ? Alain Ballereau n’impose rien, laisse libre le spectateur de se balader à travers les matières, les reliefs, les sillages et les sillons laissés en paysages par sa spatule, ses peintures… et donne ainsi de belles respirations aux murs du Carmel …
Texte paru dans la revue Artension.
Pour l'exposition à l'espace Croix-Baragnon à Toulouse - 2003.
A qui le dire?
S'acquitter du vide par le plus pauvre signe, faudrait, pour que le monde cesse de se cacher sous le triomphe du nom. - Parer l'entre-temps de toile crue d'un peu de rue sauvage, faudrait, d'une grosse montagne, de bateaux, de couteaux, de tables grêles. - (mais va-t-on sous les lunes encore accomplir les rites bariolés pour fuir la turbulence des possibles?) - Faudrait le vide encore plus vide pour que surgisse l'animal renversant l'attente et l'espace. Pour que disparaître rencontre. -Etre grumier du vent, faudrait du moins, du vent sans hâte et tout suspendre dans le souffle. - Que rien jamais n'arrète disparaître, ni surfaces ni les rives à l'eau de peindre. - Mais que bruisse un peu la cadence, faudrait, que le rythme implique l'espace et cautionne les otages dénués du sens en cavale.
Or quelque chose glisse entre voile et la main, une inquiétude de pensée qu'on ne sait pas dire pas du tout, l'orin coupé glisse aussi mais voilà...
Délester l'acryl alors voilà c'est tout. Jeter l'opaque sur l'opaque. - Frotter tout ça du temps qui passe pour chamaner la transparence. - Je cherche un bout d'histoire mais voilà... Cherche l'esquive, n'ai pas vu l'esche pour autant. - Regarde encore. - La vérité qu'importe. Poser là sur le drap qu'on dit libre d'avoir fui le poids du chassis. - Poser quoi? - Pousse toujours les simulacres dans l'armoire. - Ce ne sont pas des signes, ce sont des formes. - Trouver l'informe où le bec d'oeil saisira forme neuve? - Au levant sont les signes, au couchant les dépouilles. - Ca glisse pareil du sens aux bestioles suspendues par peindre. - Quoi glisse encore? - Une sorte d'hiver oui c'est blanc, disperse le noir dans le blanc non c'est gris. - Ca ricoche en giclée de peinture. - Va, bon gibier de cellier, va faisander sous le manteau vert ou blanc.
Alors vite on replie tout ça, c'est un jeu, on a le droit, la toile est libre, oui mais moi, mais moi? crie l'homme redépliant les surfaces de ses bagages déteints.
Reste si peu que surtout ne se perde pas le si peu, la chose peinte sous le trop de peinture. - Ne s'échappera tout à fait ce qui reste de dessiner de la toile poreuse. - C'est rien presque mais c'est: presque, quand près d'un vert saugrenu qui relance la résonance sur les bris de l'orage. -Trop encore, les signes trompe misère trop encore m'ancrent à la pesanteur. - Recouvrir alors, ne peut que dire la peinture, d'un rien plus rien, pourvu qu'à jamais coule l'étrange flux de compulsion dans la défaite en palimpseste, dans la concomitance sans protagoniste sans sujet ni mesure que l'espace. - Faudrait rejoindre le fond des choses, l'entrelacs bistre du dessous, faudrait tout de même. - En guise d'insolence, ma guise, mon cumul d'où rien ne tombe tout est peint. - Le grand vide fera ta langue inaugurale. - Le grand vide dépliera les moments de l'espace dans l'attente de toute chose. - Si rien ne vient sous le talon, laissons le vent le vent sans hate jouer sur le damier couleur contre trait, prétons la main. - Le sens a glissé entre toile et main, n'ai pu accrocher que grumes des choses aux angles aigus des casiers carrés. - Regardes, une lumière clapote après la pluie sur la marelle, sous un lexique de semelles.
L'homme alors déplie la voile et hisse jusqu'à l'oeil ce qu'on appelle encore peinture ici et là, dans l'attente du sens que tu voudras bien, voyageur, emporter dans l'emportement.
Texte pour le catalogue de l'exposition à l'Ancienne Chapelle des Jésuites d'Arles, 1999.
Dans la boulimie permanente de la peinture, Alain Ballereau a engrangé frénétiquement les signes jusqu'à posséder un vocabulaire improbable et renouvelable à l'infini, qu'il peut décliner ou projeter, dans l'urgence de sa pratique, sur les toiles ou sur les draps. A l'opposé d'un système graphique établi, les traces sans cesse renouvelées au pinceau s'inscrivent dans un espace pictural et ne forment pas sens dans leur juxtaposition.
L'invention réside dans cette liberté de l'improvisation du signe et de son étroite cohésion avec la peinture. La profusion n'est pas en surface. Des lavis, des dessins au pinceau, des recouvrements, des rehauts, des transparences ; une vibration sans interruption de la couleur et du geste, stimulée par les signes.
Alain Ballereau ne cède jamais à l'éparpillement ou au remplissage, il structure la lumière pour éviter la confusion, maîtrise son espace par la couleur, la densité ou la rareté de ses formes.
Il n'oppose pas de résistance non plus lorsque certaines de ces formes évoquent une imagerie familière : oiseaux, silhouettes, objets qui apparaissent dans le relâchement total du geste. Il n'hésite pas alors à en reprendre quelques-unes dans ses compositions plus « narratives » de grand format où la peinture se fait plus ample, la lumière plus intérieure.
Cet incessant va-et-vient entre le signe et la peinture évite une quelconque systématisation du procédé ou écriture définitive. Ces règles d'une nouvelle liberté réclament toute la vigilance du peintre, toute sa capacité à remettre en doute cette évidence et innocence retrouvées.
Texte pour le catalogue de l'exposition, Cinq peintres et un sculpteur, au Château de Tours, éditeur Balthazar, mai 1994.
Alain Ballereau pousse à l'extrême le thème de l'indécidable, comme s'il entendait se vouer à l'illustration improbable de l'indicible. Sa peinture est donc tout à la fois la plus subtilement figurative, et la plus abstraite qui soit. De tonalité mélancolique, car on est d'abord sensible aux gris, aux bruns, à la rouille des formes qui se délitent sur des plaines de blancs incertains, ses tableaux échappent sous l'œil à l'inertie de la mélancolie. Dans l'insistance avec laquel Ballereau détourne l'abstraction et fauche la figuration, on décèle une obstination qui, de prudente, devient rapidement insolente. Insolence tour à tour espiègle et timide, révélatrice et déceptive.
Il résulte une poésie sèche, d'une évidence inséparablement hautaine et humaine. La mélancolie subsiste, comme la façade poétique d'une ironie essentielle, à moins que ce ne soit l'ironie qui domine, pour ôter tout brillant au bonheur d'être triste.
Article revue Artension n°27, septembre 1991.
Le monde est petit.
Acrylique sur toile, sur papier, acrylique et pastel, pigments et pastel sur papier...Ballereau est maître des déclinaisons. Il utilise et détourne les techniques picturales comme le poète les mots et la grammaire.
Mais Ballereau est un poète.
Son art ne vise-t-il pas à exprimer ou à suggérer quelque chose par le rythme, l'harmonie et l'image?
L'artiste dépasse ici le clivage abstraction-figuration. Paysages. Ecritures? Sûrement les deux.
Son trait agité délimite des plages colorées de tranquilité. La halte est courte, cependant, et l'oeil, interpelé par la ligne, reprend sa course parmi des évocations furtives, frôlant les vides et contournant les pleins.
Chaque oeuvre de Ballereau est la réalisation d'un équilibre précieux et si ce qui nous est donné à voir est ténu, c'est aussi l'exacte mesure de ce qu'il faut pour tout voir.
Le monde est petit dit-on comme banalité, il l'est réellement pour celui qui se laisse guider par Ballereau.
Le quotidien de Paris : dossier Mac 2000 - 1991
Alain Ballereau s'est surtout manifesté dans la couronne parisienne. Carrière qui s'amorce avec une certaine autorité dans la possession de l'espace plastique, une promptitude de trait qui se situe dans la tradition du graffiti. Une intelligence de la mise en page tout à fait séduisante.
Exposition Mac 2000, Grand-Palais, 1991
La peinture d'Alain Ballereau s'applique à faire taire les couleurs trop vives, et privilégie les aplats de gris variés. Qu'ils soient glissants et lustrés, solides ou mouvants, ces nuances atones s'insinuent dans toutes les failles, griffées au couteau ou balayées de noir. Parfois, entre les lignes couleur châtaigne, une écriture s'évade des formes pour porter la bonne parole hors du cadre. Mais si d'aventure la peinture s'autorise certaines intentions figuratives ou des allusions verbales, celles-ci restent secrètes et n'appellent surtout aucun décryptage.
A suivre.
Revue Artension - exposition aux Salons Ricard. 1990.
Discrète qualité.
Alain BALLEREAU peint des silhouettes statiques dans un environnement aérien où passe toujours du vent. Il est rare que l'on ait cette impression de souffle, d'air en déplacement, de tourbillons traversant la toile. Est-ce une chaise, un personnage, une montagne? ou simplement un jeu de construction entre la masse immobile et le mouvement alentour?
Alain BALLEREAU travaille beaucoup. Quinze couches quelquefois se superposent, qui donnent cet aspect de "peau" à la surface de l'oeuvre finale. Huile ou acrylique, crayon et pastel gras sur toile ou sur papier, il y a une parenté et une cohérence entre les oeuvres. Ici, les tons sont ceux de la montagne en hiver, des bruns aux blancs rosés, en passant par toute la gamme des gris. De temps à autre, une touche de jaune, de rose, de vert anis ponctue la toile, sans rupture, ni agressivité. Une écriture nerveuse ajoute son rythme inquiet, interrogateur.
Déjà primé à Créteil, présent au Salon de la Jeune Peinture, Alain BALLEREAU a été choisi par Colette Barbier, qui veille à la qualité des expositions proposées par la Société Ricard avec intelligence et sensibilité.